MARINA TSVETAEVA
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            MARS

Ô pleurs d'amour, fureur !
D'eux-mêmes — jaillissant !
Ô la Bohême en pleurs !
En Espagne : le sang !

Noir, ô mont qui étend
Son ombre au monde entier !
Au Créateur : grand temps
De rendre mon billet

Refus d'être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d'y vivre
Avec les loups régents

Des rues — hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines —
Non ! — Glisser : je refuse —
Le long des dos en chaîne.

Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
À ton monde insensé
Je ne dis que : refus.

                    15 mars-11 mai 1939.

 

            À BYRON

Je pense au matin de votre gloire,
Au matin de votre vie,
Quand démon vous vous êtes éveillé
Et Dieu pour les hommes.

Je pense à vos sourcils
Qui cerclent la flamme de vos yeux,
À la lave du sang ancien
Qui coule dans vos veines.

Je pense à vos doigts — si longs —
Dans vos cheveux bouclés
Et aux regards qui vous dévorent
Dans les salons et les allées.

Je pense à ces cœurs que, trop jeune,
Vous n'eûtes le temps de lire,
Tandis que des lunes jaillissaient
Et s'éteignaient pour votre gloire.

Je pense à ce salon obscur,
Au velours penché sur la dentelle,
À vous qui m'auriez dit vos vers
Et moi — les miens — pour vous.

Je pense encore à la poussière
Qui reste de vos lèvres et de vos yeux —
À tous ces yeux qui reposent morts...
À eux, à nous...

                    24 septembre 1913.

 

            LES YEUX

Deux lueurs rouges — non, des miroirs !
Non, deux ennemis !
Deux cratères séraphins.
Deux cercles noirs

Carbonisés — fumant dans les miroirs
Glacés, sur les trottoirs,
Dans les salles infinies —
Deux cercles polaires.

Terrifiants ! Flammes et ténèbres !
Deux trous noirs.
C'est ainsi que les gamins insomniaques
Crient dans les hôpitaux : — Maman !

Peur et reproche, soupir et amen...
Le geste grandiose...
Sur les draps pétrifiés —
Deux gloires noires.

Alors sachez que les fleuves reviennent,
Que les pierres se souviennent !
Qu'encore encore ils se lèvent
Dans les rayons immenses —

Deux soleils, deux cratères,
— Non, deux diamants !
Les miroirs du gouffre souterrain :
Deux yeux de mort.

                    30 juin 1921.

 

            À BORIS PASTERNAK

Dis-tance : des verstes, des milliers...
On nous a dis-persés, dé-liés,
Pour qu'on se tienne bien : trans-plantés
Sur la terre à deux extrémités.

Dis-tance : des verstes, des espaces...
On nous a dessoudés, déplacés,
Disjoint les bras — deux crucifixions,
Ne sachant que c'était la fusion

De talents et de tendons noués...
Non désaccordés : déshonorés,
Désordonnés...
                            Mur et trou de glaise.
Écartés on nous a, tels deux aigles —

Conjurés : des verstes, des espaces...
Non décomposés : dépaysés.
Aux gîtes perdus de la planète
Déposés — deux orphelins qu'on jette !

Quel mois de mars, non mais quelle date ?!
Nous a défaits, tel un jeu de cartes !

                    24 mars 1925.

 

 

 

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